[Test] Carmen Sandiego
Il m’a suffi d’un plan fixe sur une silhouette élancée, drapée d’un manteau écarlate battant au vent sur les toits de Rio, pour que la magie opère. Carmen Sandiego, l’icône de l’espionnage éducatif des années 80 et 90, revient hanter nos consoles avec un jeu flambant neuf, résolument moderne et pourtant profondément nostalgique. J’ai chaussé mon chapeau d’enquêtrice, dépoussiéré mes souvenirs de globetrotteuse virtuelle et me suis laissée entraîner, manette en main, dans cette aventure mi-enquête, mi-récit initiatique.
Le jeu nous place dans la peau de Carmen, non plus en tant que cible des traques, mais en véritable protagoniste. Exit la voleuse insaisissable fuyant l’agence ACME, bonjour l’anti-héroïne altruiste qui vole… pour de bonnes raisons. Inspiré par la série animée de Netflix lancée en 2019, le récit mêle espionnage, trahisons et missions à travers le globe. Mais que l’on ne s’y trompe pas : le jeu n’est pas un pur roman interactif. Il est avant tout un parcours d’énigmes, de choix, de déductions logiques. Un jeu de pistes éducatif qui m’a rappelé mes premiers amours vidéoludiques, ceux qui me faisaient ouvrir un atlas plus souvent que ma boîte de céréales.
Si le récit principal, neuf missions qui s’achèvent hélas sur un cliffhanger frustrant, m’a globalement plu, j’avoue avoir ressenti une certaine lassitude face à sa structure morcelée. Le jeu impose un va-et-vient constant entre missions principales et quêtes secondaires (les "fichiers ACME") pour monter de niveau et progresser. Une contrainte artificielle qui brise un peu le rythme narratif.
Ce qui m’a happée dès les premiers instants, c’est l’ambiance. Les musiques, discrètes mais élégantes, évoquent tantôt les orchestrations feutrées d’un film d’espionnage, tantôt les sons urbains ou exotiques des lieux visités. Le sound design, s’il reste en retrait, accompagne sans jamais envahir. Hélas, l’absence quasi totale de doublages, même en anglais, m’a laissée sur ma faim. J’aurais tant aimé entendre Carmen répliquer avec son ironie mordante, ou sentir l’inquiétude dans la voix du chef d’ACME. Ces silences m’ont semblé trahir l’ambition narrative du titre.
Visuellement, Carmen Sandiego joue la carte du dessin animé stylisé. Les décors, bien que souvent figés, regorgent de détails charmants : bibliothèques monumentales, plages ensoleillées, ruelles japonaises ou marchés grouillants. Chaque lieu visité offre un petit écrin de culture, comme une carte postale vivante. J’ai notamment été touchée par la représentation du Brésil, mêlant la beauté naturelle d’Ipanema à la densité urbaine de la Rocinha, sans sombrer dans la caricature.
Cependant, les personnages souffrent d’une certaine raideur : animations limitées, expressions figées. Et là encore, l’absence de mouvements ou de voix nuit à l’immersion. Le contraste avec les ambitions pédagogiques et narratives du titre se fait sentir.
J’ai joué sur PS5, et l’expérience fut globalement fluide. L’interface est claire, pensée pour les écrans tactiles, le jeu est d’ailleurs aussi disponible sur mobile via l’abonnement Netflix, avec de gros boutons et des menus épurés. Peut-être un peu trop : sur console, cela donne parfois l’impression de naviguer dans une application plus que dans un jeu vidéo.
Les commandes sont simples, voire simplistes. On se déplace rarement, on clique davantage. Ce minimalisme sied bien à l’objectif pédagogique, mais j’aurais aimé un peu plus de liberté dans l’exploration.
La difficulté de Carmen Sandiego est trompeuse. Les premières missions se déroulent sans heurt, presque comme un tutoriel géant. Puis, insidieusement, les énigmes se complexifient. Trouver le bon suspect parmi une galerie d’agents V.I.L.E. nécessite de recouper des indices parfois ambigus : une passion pour le yaourt à la mangue, une phobie des ascenseurs, ou encore un goût pour les casquettes rayées. C’est charmant, mais redoutablement piégeux. Plus d’une fois, j’ai émis un mandat contre la mauvaise personne et dû tout recommencer. Frustrant, mais aussi stimulant. À cet instant, je me suis sentie redevenir enfant, dévorant des livres-jeux à la recherche du bon chemin.
Comptez environ 8 à 10 heures pour venir à bout des neuf missions principales, auxquelles s’ajoutent les fichiers ACME. Ces derniers, plus rétro, proposent une expérience épurée proche des jeux originaux : menus pixelisés, interfaces sobres, énigmes à tiroirs. C’est un joli clin d’œil aux fans, et une manière efficace d’allonger la durée de vie. Mais attention : le jeu impose de les faire pour progresser, ce qui peut nuire à ceux qui préféreraient suivre uniquement la trame principale.
Ce qui m’a réellement déçue, c’est l’absence de conclusion. Le jeu s’arrête sur une mission finale "bientôt disponible", comme un livre dont on aurait arraché la dernière page. Je comprends l’idée d’un contenu épisodique sur mobile. Mais sur console, à 30 ou 40 euros, c’est une entorse au pacte de confiance avec le joueur.
Le gameplay repose sur un triptyque bien huilé : déduction, exploration et mini-jeux. On enquête en visitant trois lieux par ville, chacun livrant un indice sur le suspect ou la destination suivante. Puis vient le moment de croiser les informations : type de cheveux, passion pour les lézards ou appartenance à une secte d’alpinisme. Un petit goût de Guess Who? qui fonctionne à merveille.
Les mini-jeux, eux, oscillent entre mécanique simpliste (viser un point avec un grapin, appuyer au bon moment) et énigmes plus retorses (déroutage de câbles, piratage de signaux). Leur brièveté les rend digestes, même lorsqu’ils manquent d’originalité. Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est la montée en complexité progressive : au début anodins, ils deviennent de vrais casse-têtes dans les missions finales.
La progression passe par un système d’étoiles, de niveaux d’expérience et de déblocages. Un peu artificiel, certes, mais il remplit sa fonction. Le jeu encourage à rejouer certaines missions pour obtenir un score parfait ou débloquer des tenues alternatives. Mention spéciale à la mission rétro "Where in the World?", qui nous replonge dans l’époque où Carmen était encore celle que l’on pourchassait.
Malgré tout, la rejouabilité reste limitée. Les villes finissent par se répéter, et les suspects tournent en boucle. J’aurais adoré une plus grande variété de lieux ou des éléments procéduraux pour renouveler les parties.
C’est là que réside, à mes yeux, la vraie réussite de Carmen Sandiego. Chaque mission est une invitation à la découverte. On apprend les capitales oubliées, les symboles monétaires, les anecdotes historiques et culturelles. Le tout est intégré dans le gameplay, de manière organique, sans jamais sombrer dans la leçon magistrale. L’une des énigmes m’a même poussée à sortir de ma partie pour chercher la signification d’un nom d’aéroport : j’étais ravie de cette petite incursion dans le réel.
Pour les plus jeunes, c’est un trésor éducatif. Pour moi, c’était un plaisir de voir un jeu oser encore faire appel à notre curiosité.
J’ai aimé le regard neuf posé sur Carmen, cette héroïne autrefois fuyante, aujourd’hui actrice de sa propre histoire. J’ai aimé les énigmes, les détours culturels, les gadgets à débloquer. J’ai aimé les graphismes stylisés, les petits détails dans chaque ville, les clin-d’œil à l’histoire de la saga. J’ai même aimé échouer, parfois, parce que cela me forçait à raisonner, à douter, à affiner mon jugement.
Mais j’aurais voulu une narration plus fluide, une vraie fin, plus de variété dans les missions, des doublages soignés. J’aurais voulu que le jeu ose aller plus loin dans sa direction artistique, dans son humour, dans son engagement.
Carmen Sandiego version 2025 est une lettre d’amour à une saga mythique, teintée d’un zeste de modernité et d’une sincère ambition pédagogique. Le jeu n’est pas parfait, trop répétitif, parfois maladroit, souvent sous-exploité. Mais il m’a rappelé que l’apprentissage peut être une aventure, que la culture générale peut se dissimuler dans une paire de lunettes de vision thermique, et que l’élégance d’un manteau rouge peut encore faire battre le cœur des joueuses.
Un titre à découvrir, surtout si l’on veut transmettre à une nouvelle génération le goût de l’enquête et de la découverte.
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