[Test] Ghost of Yōtei

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[Test] Ghost of Yōtei

Avant d’aborder Ghost of Yōtei, il m’a semblé nécessaire de le replacer dans la continuité d’une œuvre déjà marquante, Ghost of Tsushima, tout en soulignant la volonté de ce nouvel épisode de s’en démarquer.

Ghost of Tsushima, sorti en 2020 et développé par Sucker Punch Productions, avait frappé les esprits en combinant une direction artistique somptueuse, des combats nerveux et un cadre historique inspiré du Japon féodal. L’expérience avait su séduire autant par son intensité dramatique que par ses moments contemplatifs, presque méditatifs, rappelant les grands films de samouraïs de Kurosawa. Son succès critique et commercial a fait émerger l’idée d’un univers narratif élargi, au-delà de l’histoire de Jin Sakai, son protagoniste central. Dès lors, la notion de « Ghost » ne se limitait plus à un personnage unique, mais devenait une figure mythique susceptible de se réinventer à travers d’autres époques et d’autres destins.

La sortie, prévue pour le 2 octobre 2025 exclusivement sur PlayStation 5 (et optimisée pour la PS5 Pro), marque une nouvelle étape dans la stratégie de Sony de consolider ses exclusivités narratives. La volonté affichée de Sucker Punch est de réinventer l’expérience du joueur sans trahir l’essence de la saga : proposer une fresque historique sublimée par l’esthétique, un monde ouvert richement détaillé, et une héroïne dont la quête personnelle s’inscrit dans une époque troublée.

L’action prend place en 1603, au tout début de l’époque Edo, dans une région encore largement périphérique par rapport au pouvoir du shogunat. Ezo, aux marges du Japon central, était alors un territoire marqué par l’isolement, les échanges avec les peuples autochtones Aïnous et l’instabilité politique. Ce choix de décor permet de renouer avec une idée de frontière et de chaos latent, où la loi de l’empire se fait plus diffuse et où les conflits personnels s’entrelacent avec des enjeux de survie. Le joueur y incarne Atsu, une mercenaire rongée par le souvenir du massacre de sa famille seize ans plus tôt, perpétré par un groupe connu sous le nom des « Les six de Yōtei ». Sa quête de vengeance sert de fil directeur à une narration que l’on annonce moins linéaire que dans Tsushima.

Cette orientation se traduit notamment par une liberté accordée au joueur dans l’ordre des affrontements : les six cibles principales pourront être traquées dans la séquence de son choix, chaque décision influençant le rythme et la teneur de l’histoire. Ce choix structurel renforce l’idée que l’univers de Ghost of Yōtei ne repose pas seulement sur un récit à suivre, mais sur une expérience façonnée par la manière dont chacun choisira d’habiter le rôle du Fantôme.

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Enfin, un soin particulier a été apporté à l’ancrage visuel et sonore. L’équipe de développement a multiplié les séjours sur place, notamment dans le parc national de Shiretoko, afin de capter l’ambiance unique des forêts boréales, des vents glacés et des lacs reflétant le Mont Yōtei. L’approche se veut fidèle aux paysages, mais aussi chargée de symbolique : l’environnement naturel devient un personnage à part entière, porteur d’une intensité dramatique.

À travers ce projet, Sucker Punch ne cherche pas simplement à capitaliser sur le succès du premier jeu, mais à instaurer une véritable anthologie du « Ghost ». En s’aventurant sur un nouveau territoire et en proposant une héroïne inédite, le studio affirme sa volonté de réinventer une identité tout en conservant les marqueurs qui ont fait la renommée de Tsushima. C’est dans cette dialectique entre continuité et rupture que s’inscrit le contexte de Ghost of Yōtei.

Quand on entre dans Ghost of Yōtei, on bascule dans une narration à la fois familière et renouvelée : celle d’une épopée de vengeance, mais incarnée par une nouvelle figure, dans un décor moins central que Tsushima. Le pitch central, traquer six criminels meurtriers ayant détruit sa famille seize ans plus tôt, offre une structure simple mais puissante, et c’est sur cette ossature que se greffent les variations et les défis narratifs du jeu.

Le jeu se déroule donc en 1603, dans la région d’Ezo,  à l’époque un territoire périphérique, presque frontière, autour du Mont Yōtei, aujourd’hui partie de l’île de Hokkaidō. On incarne Atsu, une rōnin ou mercenaire solidaire du rôle de « fantôme », hantée par un passé traumatique : elle a vu sa famille massacrée par le groupe nommé les Yōtei Six, et a survécu en étant clouée à un ginkgo en flammes, à la merci des assassins. Elle adopte, au fil du jeu, le masque du vengeur, presque une incarnation du onryō (esprit vengeur dans la tradition japonaise), non pas pour devenir un héros au sens classique, mais pour incarner une justice implacable.

Ce positionnement porte des implications profondes pour la narration. Atsu n’est pas un samouraï noble porteur d’un code moral élevé (comme l’était Jin Sakai dans Tsushima) ; elle est davantage une survivante, une femme forgée par la douleur et la rage.  Le récit se veut moins contemplatif, moins poétique, moins axé sur le maintien ou la restauration d’un ordre et plus implacable.

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L’un des points d’intérêt est l’apparente liberté narrative permise par la structure du jeu : les joueurs peuvent choisir dans quel ordre traquer les membres des Yōtei Six, ce choix modulant le rythme dynamique et émotionnel de la progression. Ce mode non linéaire recèle un double pari : maintenir une ligne directrice forte tout en ménageant des bifurcations, afin que chaque partie soit marquée des choix du joueur.

Au fil de sa quête, Atsu rencontrera des alliés inattendus, comme Oyuki, une joueuse de shamisen avec un passé trouble, Jubei, samouraï du clan Matsumae en lien avec le passé d’Atsu, et Kiku, la fille de Jubei, dont le sort devient un enjeu narratif central. Les relations humaines, trahisons, doutes, alliances, se mêlent à la violence, et le jeu semble promettre des retournements : on découvre par exemple qu’Oyuki fut autrefois la Kitsune, un des membres des Yōtei Six, avant d’être remplacée ; qu’Atsu a un frère sauvé par le clan Matsumae, etc.

Le récit ne se limite pas à la vendetta privée. Il progresse vers des enjeux plus vastes : Lord Saitō, le chef des Yōtei, préparerait une rébellion pour s’emparer de l’île d’Ezo contre le shogunat, établissant un “shogun du Nord” et suscitant des conflits d’allégeance avec le clan Matsumae. Le jeu interroge donc la dimension politique et territoriale, et situe la vengeance personnelle au cœur d’une lutte plus vaste pour le territoire et la liberté.

On note aussi que Ghost of Yōtei propose une narration entre passé et présent : certaines séquences permettent de revivre les souvenirs d’Atsu, par des transitions entre les deux temporalités, apportant une profondeur émotionnelle au décor et aux motivations de la protagoniste.

Enfin, dans son univers, le symbolisme joue un rôle important : la nature sauvage, les neiges, les lacs reflétant le Mont Yōtei, les arbres ginkgo, tous servent de métaphores visuelles du traumatisme, de la mémoire, de la vengeance et le décor lui-même se fait espace psychique autant que territoire de combat.

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En somme, Ghost of Yōtei se présente comme un récit à tonalité sombre et déterminée : une femme marquée, non pas appelée à devenir une légende philanthropique, mais à incarner une figure de vengeance, jusqu’à ce que ses choix l’emmènent, peut-être, vers quelque chose de plus vaste que sa douleur. L’équilibre sera délicat, entre violence et nuance, entre personnage solitaire et liens humains mais c’est précisément dans cette tension que réside l’enjeu narratif du jeu.

De fait, lorsque vous choisissez le mode Kurosawa dans les options vous devenez spectateurs et acteurs d’une fresque monumentale sans précédents. Je vous avoue que j’ai adoré jouer sur mon écran OLED de 2m avec le home cinéma en mode Kurosawa…

Si je dis ça c’est parce que comparer Ghost of Yōtei à la concurrence n’est pas un exercice anodin. D’un côté, il s’inscrit dans une tradition déjà bien ancrée du jeu d’action-aventure en monde ouvert ; de l’autre, il cherche à affirmer une singularité par sa thématique, son rythme et son cadre historique. L’analyse se joue donc à deux niveaux : d’abord en le rapprochant de titres récents ou installés dans le genre, puis en interrogeant ce qui le distingue réellement dans ce paysage déjà saturé.

Le premier point de comparaison évident reste son aîné, Ghost of Tsushima. Les deux partagent un ADN commun : combat à l’arme blanche, esthétique inspirée du Japon féodal, mise en valeur du paysage comme moteur narratif. Or, si Tsushima brillait par un équilibre entre contemplation et action, Yōtei semble davantage vouloir s’affirmer du côté de la rudesse et de la noirceur. Là où Jin Sakai incarnait un dilemme moral — suivre le code des samouraïs ou céder aux tactiques de fantôme — Atsu, elle, est déjà dans l’ombre. Il ne s’agit plus de basculer ou de trahir un idéal, mais de survivre et de venger. À ce titre, Yōtei se rapproche davantage d’un Sekiro: Shadows Die Twice (FromSoftware, 2019) par son atmosphère sombre, même si le rythme et l’accessibilité du gameplay restent orientés vers un public plus large.

Si l’on élargit la comparaison, Ghost of Yōtei prend place dans la catégorie des mondes ouverts d’action, un territoire dominé par des séries comme Assassin’s Creed (Ubisoft) ou Horizon (Guerrilla Games). Comme ces licences, il propose une fresque historique (ou para-historique) enrichie d’une dimension esthétique forte et d’un personnage central marqué par une quête identitaire. La différence, toutefois, réside dans le soin apporté par Sucker Punch à l’authenticité culturelle : au lieu d’un exotisme globalisant, le studio s’ancre dans une documentation précise, des paysages fidèlement recréés, et un imaginaire qui dialogue avec des traditions japonaises comme le théâtre Nô, les esprits vengeurs (onryō) ou encore la musique shamisen. Cette fidélité ne le met pas seulement en concurrence avec les mastodontes occidentaux, mais l’installe dans une niche exigeante où l’identité culturelle devient un argument.

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Face à d’autres jeux japonais, Ghost of Yōtei occupe une position intermédiaire. Il n’a pas la radicalité d’un Nioh (Team Ninja) ni l’expérimentation métaphysique d’un Sekiro, mais il assume un équilibre entre accessibilité et profondeur. Là où les productions de FromSoftware misent sur une difficulté extrême et une narration cryptée, Yōtei reste dans la tradition de Sony : un récit clair, incarné, soutenu par une mise en scène cinématographique. En ce sens, il se rapproche davantage de productions comme Horizon Forbidden West ou The Last of Us Part II : des exclusivités PlayStation qui combinent spectacle, émotion et gameplay accessible, tout en affichant une ambition artistique forte.

Le pari de Ghost of Yōtei est donc double. D’une part, convaincre les joueurs séduits par Tsushima qu’il peut offrir une expérience à la fois familière et plus radicale dans son ton. D’autre part, se démarquer dans un genre où les mondes ouverts tendent à se ressembler. Sa spécificité repose sur trois axes : une héroïne marquée par la vengeance, une structure narrative non linéaire (chasser les Yōtei Six dans l’ordre choisi), et un cadre géographique inédit, celui du nord du Japon au XVIIᵉ siècle. Ces éléments, combinés, lui confèrent un espace singulier dans un marché pourtant saturé. Et c’est manifestement un pari gagné à mes yeux…

En définitive, Ghost of Yōtei ne prétend pas réinventer le monde ouvert, mais il choisit de l’habiter avec une intensité particulière. Il se situe à la croisée des chemins : entre héritage de Tsushima et radicalité des productions japonaises, entre accessibilité occidentale et profondeur culturelle locale. C’est un chef d’œuvre d’originalité !

Après quelques heures d’exploration sur Ghost of Yōtei, j’ai été frappée par l’équilibre entre continuité et renouvellement dans le gameplay. Les bases posées par Ghost of Tsushima demeurent reconnaissables : combat à l’arme blanche, infiltration, exploration d’un monde ouvert qui valorise autant l’action que l’observation. Mais on trouve des nuances importantes qui modifient l’expérience, en particulier dans la structure du level design et dans la progression du joueur.

L’élément central reste le combat rapproché. Les affrontements reprennent les fondamentaux de Tsushima, lecture des postures ennemies, contre-attaques, importance du timing, mais l’arsenal d’Atsu est plus limité, presque ascétique. Contrairement à Jin Sakai, qui pouvait alterner entre plusieurs styles de combat et techniques issues du bushido, Atsu n’a pas la légitimité d’un samouraï. Ses armes principales sont le katana et le tantō, auxquels s’ajoutent l’arc et un ensemble d’outils de fortune (poudre incendiaire, clochettes de diversion, shuriken). Cette relative pauvreté en moyens transforme le rythme des combats : l’impression de précarité est permanente, et chaque victoire a davantage le goût d’une survie que d’une maîtrise héroïque.

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L’infiltration occupe un rôle encore plus marqué que dans Tsushima. Atsu est une mercenaire qui frappe dans l’ombre, et tout dans le game design semble inciter à privilégier la ruse : déplacements discrets dans les hautes herbes enneigées, assassinat silencieux depuis les toits de fermes ou les branches des ginkgos, usage accru des diversions. Les développeurs insistent sur le fait que la neige elle-même est intégrée au gameplay : les traces laissées par Atsu ou par ses ennemis peuvent trahir une présence, ce qui incite à une vigilance constante. Le décor n’est donc pas seulement un cadre esthétique, mais un levier tactique.

Côté exploration, le monde ouvert conserve le principe d’indices environnementaux pour guider le joueur, sans recours excessif à une interface envahissante. Dans Tsushima, c’était le vent qui menait vers un objectif ; dans Yōtei, ce sont les corbeaux et les flocons emportés par les bourrasques qui servent de guide naturel. Le choix est esthétique, mais aussi sensoriel : il renforce l’immersion en effaçant l’artifice d’un HUD trop présent. J’ai particulièrement apprécié cette volonté de laisser au joueur la responsabilité de l’orientation, de l’attention aux détails, comme une forme d’écoute active du monde. Le jeu est contemplatif mais pas que.

Le level design adopte une structure plus ouverte et modulaire. La chasse aux six cibles principales (les six de Yōtei) en est le cœur : chacune occupe une forteresse, un territoire ou un campement particulier, conçu comme une sorte de “donjon” à infiltration. Le joueur peut décider de l’ordre dans lequel s’y attaquer, et chaque lieu possède une identité visuelle et mécanique propre — par exemple, un village de pêcheurs transformé en repaire fortifié sur pilotis, une forteresse troglodytique creusée dans la montagne, ou encore un sanctuaire abandonné dans les forêts enneigées. Cette variété rappelle la liberté offerte par certains jeux comme Shadow of Mordor ou Hitman, mais intégrée dans un monde ouvert narratif. Point stratégique important on peut fuir le combat en quittant les lieux contrairement à un Hitman.

En termes de progression, Yōtei mise sur la souplesse plutôt que sur la surabondance. Les compétences à débloquer sont moins nombreuses mais plus impactantes : améliorer la discrétion, renforcer la résistance au froid, apprendre à manier de nouvelles variantes d’outils. Il n’y a pas de surenchère de loot ou de statistiques complexes : tout est conçu pour que chaque acquisition fasse sens dans l’univers de survie d’Atsu. Cette sobriété contraste avec les tendances actuelles des mondes ouverts, où les arbres de talents sont souvent pléthoriques au risque de diluer l’expérience.

Ce que j’apprécie particulièrement, c’est cette cohérence entre narration et gameplay : Atsu n’est pas un héros flamboyant, et le jeu ne cherche pas à lui donner artificiellement des pouvoirs démesurés. Le level design, plus resserré, et les mécaniques de combat, plus précaires, traduisent son statut de survivante en quête de revanche. En revanche, ce minimalisme pourra aussi frustrer certains joueurs habitués à la richesse des styles de combat de Tsushima. Tout l’enjeu sera de savoir si cette austérité assumée sera vécue comme une force immersive ou comme une contrainte répétitive.

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Dès les premières minutes, Ghost of Yōtei m'a frappée par son identité visuelle, et c’est sans doute là que l’héritage de Ghost of Tsushima se fait le plus évident. Sucker Punch avait déjà prouvé sa capacité à transformer un monde ouvert en fresque picturale, et l’équipe semble vouloir renouveler cette réussite en s’appuyant cette fois sur un environnement radicalement différent : l’île d’Ezo, ses forêts boréales, ses montagnes enneigées, ses côtes battues par les vents. Là où Tsushima brillait par la variété des saisons et l’exubérance des couleurs, Yōtei privilégie une palette plus restreinte mais d’une intensité saisissante : blancs éclatants de la neige, noirs d’encre des pins et des roches volcaniques, reflets bleutés des lacs gelés. L’ensemble compose une esthétique presque monochrome, à la fois minimaliste et dramatique.

Cette atmosphère graphique s’appuie sur une direction artistique inspirée des estampes japonaises de l’époque Edo. Les lignes des branches dénudées, les silhouettes sombres dans la brume, les contrastes de clair-obscur rappellent l’art d’Hokusai et d’Hiroshige, mais transposés dans un langage vidéoludique moderne. Les développeurs ont également puisé dans l’imaginaire du théâtre Nô et du kabuki pour concevoir certains masques, costumes et décors. J’ai trouvé que cette référence culturelle, loin de se limiter à une esthétique “exotique”, confère au jeu une densité symbolique : chaque détail visuel semble avoir été pensé pour dialoguer avec les thèmes du souvenir, de la vengeance et du deuil.

Sur le plan technique, le jeu bénéficie de la puissance de la PlayStation 5 (et de la PS5 Pro de facto). j’ai pu découvrir un gestion impressionnante des particules : bourrasques de neige réalistes, traces laissées au sol par le joueur et ses ennemis, reflets changeants dans les surfaces gelées. Le moteur utilisé (une évolution de celui de Tsushima) affiche une stabilité remarquable, avec une promesse de 60 images par seconde en mode performance et un mode fidélité en 4K natif à 30 images par seconde. La transition entre cinématiques et gameplay est fluide, et l’absence quasi totale de temps de chargement participe à l’immersion.

Le jeu intègre aussi un mode photo enrichi, déjà très populaire dans Tsushima. Il permet de capturer les ambiances atmosphériques avec un degré de liberté élevé : positionnement dynamique de la caméra, filtres inspirés des gravures japonaises, réglages précis de la météo et de l’éclairage. C’est un outil qui devrait séduire les joueurs soucieux de documenter leur voyage dans ce Japon réinventé.

Quant aux performances globales, il est encore trop tôt pour juger de manière définitive, mais les previews évoquent une bonne optimisation. Quelques inquiétudes subsistent néanmoins : le rendu de la neige, gourmand en ressources, pourrait provoquer des baisses ponctuelles de framerate lors des scènes les plus chargées ; la densité de la végétation et des PNJ en monde ouvert risque aussi de mettre le moteur à l’épreuve. Il faudra vérifier à la sortie si ces promesses se confirment, ou si des correctifs techniques seront nécessaires.

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En matière de bugs, les précédents jeux de Sucker Punch étaient relativement épargnés par les problèmes majeurs, même si Tsushima avait connu quelques glitchs graphiques mineurs au lancement. Rien n’indique pour l’instant que Yōtei dérogera à cette tradition de sérieux technique. Ce qui me frappe surtout, c’est la cohérence entre direction artistique et moteur : la technologie n’est pas utilisée pour exhiber une prouesse brute, mais pour servir une vision esthétique précise.

En somme, Ghost of Yōtei mise moins sur la surenchère graphique que sur l’harmonie entre art et technique. C’est un jeu qui semble avoir choisi une identité visuelle forte, épurée, presque austère, mais d’une grande force évocatrice. Si les performances tiennent leurs promesses, il pourrait bien s’imposer comme l’un des mondes ouverts les plus immersifs et les plus aboutis graphiquement de la génération PS5.

L’une des forces de Ghost of Tsushima tenait à sa capacité à installer une atmosphère singulière, faite d’un équilibre subtil entre contemplation et tension dramatique. Dans Ghost of Yōtei, cet héritage est prolongé, mais avec une coloration sonore et musicale qui s’oriente vers quelque chose de plus sombre, presque spectral. L’ambiance générale se veut moins poétique et plus oppressante, en accord avec la trajectoire tragique de son héroïne.

La bande-son, composée par Ilan Eshkeri et Shigeru Umebayashi (qui avaient déjà signé la musique de Tsushima), retrouve ce mélange de cordes occidentales et d’instruments traditionnels japonais. Cependant, on note un accent beaucoup plus marqué sur la texture sonore brute : les cordes pincées du shamisen, les percussions sourdes du taiko, les sonorités étranges des flûtes shakuhachi utilisées dans des registres graves. Tout concourt à installer un sentiment d’inquiétude latente. Certains morceaux, inspirés de chants aïnous, introduisent également une couleur inédite, renforçant l’ancrage du jeu dans le nord du Japon et ses marges culturelles.

Ce que j’ai particulièrement remarqué dans les extraits rendus publics, c’est l’usage très maîtrisé du silence. Dans les phases d’infiltration, la musique se retire souvent pour laisser place aux sons ambiants : craquement de la neige sous les pas, bruissement du vent dans les pins, appel lointain d’un corbeau. Ces instants, où l’on entend presque sa propre respiration, rappellent que le monde sonore est un instrument de tension aussi efficace que la musique elle-même. La moindre alerte ennemie, le cri d’un garde, le choc métallique d’une lame surgit, alors avec une intensité accrue.

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Les bruitages bénéficient d’un soin particulier, notamment ceux liés à l’environnement. Les développeurs ont enregistré directement sur place, dans le parc national de Shiretoko, pour capter les sons naturels : grondement sourd d’une avalanche lointaine, gémissement du vent à travers les branches, craquements de glace. Ce réalisme confère une profondeur presque physique au monde : on ressent le froid, l’isolement, l’immensité du décor. Même les armes ont un traitement acoustique précis : le sifflement bref d’une flèche, la résonance métallique d’un katana, la rugosité d’un tantō pénétrant une armure.

J’ai également apprécié le rôle donné aux voix et aux intonations. Atsu est doublée en japonais par une actrice au timbre grave et retenu, traduisant la dureté de son parcours et son rapport au silence. Les PNJ, qu’ils soient alliés ou ennemis, adoptent des registres vocaux contrastés, parfois presque théâtraux, dans la lignée du kabuki. Cette dimension vocale enrichit la mise en scène et participe à l’atmosphère dramatique du jeu.

Il faut noter que Ghost of Yōtei propose, comme son prédécesseur, plusieurs options linguistiques et de mixage audio : version originale japonaise avec sous-titres, doublage anglais, et un “mode Kurosawa” (que j'évoquais plus haut) reprenant un filtre noir et blanc accompagné d’un mixage sonore granuleux rappelant les films d’époque. Ce dernier mode, déjà apprécié dans Tsushima, prend ici une valeur encore plus pertinente, puisque l’esthétique hivernale et l’univers spectral s’y prêtent parfaitement.

L’ensemble produit une ambiance sonore qui colle intimement au propos du jeu : austère, pesante, marquée par une beauté glaciale. Là où Tsushima évoquait une forme de lyrisme, Yōtei semble préférer une approche dramatique plus sèche, plus resserrée, où chaque note et chaque bruitage accentuent la solitude et la détermination d’Atsu. Cela peut parfois donner l’impression d’une expérience oppressante, moins ouverte à la rêverie. Mais c’est aussi ce qui confère au jeu sa singularité : un univers où le son et la musique ne servent pas seulement d’accompagnement, mais deviennent le cœur même du ressenti.

La question de la durée de vie est centrale pour un jeu comme Ghost of Yōtei, qui s’inscrit dans la lignée des mondes ouverts narratifs. L’aventure principale nécessite environ 25 à 30 heures pour être achevée, sans se presser. Si l’on ajoute les quêtes secondaires, l’exploration libre et les activités annexes, on peut raisonnablement tabler sur 45 à 50 heures pour une partie complète. C’est un volume légèrement inférieur à Ghost of Tsushima (dont la durée oscillait entre 50 et 60 heures pour un joueur curieux), mais cette réduction n’est pas forcément une faiblesse : elle traduit un resserrement de la narration, une volonté d’éviter l’écueil du “remplissage”. Maintenant, pour les serial platineurs, il vous faudra bien 60 heures !

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En ce sens, le jeu semble privilégier l’intensité à l’étendue et moi ça me convient. Les zones d’Ezo sont vastes, mais moins uniformes que celles de Tsushima. Chaque territoire lié à un des Yōtei Six a été conçu comme un espace narratif et ludique unique, avec ses propres mécaniques d’approche. Cette segmentation favorise une progression marquée, presque chapitrée, et contribue à limiter la sensation de dispersion. J’y vois une approche plus sobre, mais aussi plus dense : chaque mission importante a du poids, chaque affrontement est préparé comme un moment clé d’une superproduction cinématographique.

La difficulté, quant à elle, se situe dans la continuité du premier jeu, avec quelques ajustements. On retrouve un système de modes de difficulté paramétrables (facile, normal, difficile, et un mode “Légende” particulièrement exigeant). Cependant, la fragilité d’Atsu accentue le sentiment de vulnérabilité : ses ressources sont plus limitées, sa capacité à encaisser des coups est moindre, et l’environnement lui-même (froid, neige, traces visibles par les ennemis) devient un facteur de danger. On sent une volonté de renforcer l’immersion par une difficulté plus contextuelle que purement mécanique. Il ne s’agit pas seulement d’affronter des ennemis plus puissants, mais d’apprendre à composer avec un monde hostile. J’ai terminé la campagne en mode normal et c’est déjà difficile.

Cette approche peut séduire ceux qui avaient trouvé Tsushima trop indulgent, mais elle risque aussi de frustrer les joueurs moins aguerris. Pour ma part, j’apprécie cette rigueur accrue, car elle traduit le statut d’Atsu : une survivante, non un héros invincible. Chaque combat gagné donne le sentiment d’avoir triomphé d’une épreuve tangible.

En termes de rejouabilité, l’un des choix structurants du jeu joue un rôle clé : la possibilité d’affronter les six cibles principales dans l’ordre voulu. Cette liberté garantit une expérience légèrement différente à chaque partie, le déroulé narratif se modulant selon les priorités choisies par le joueur. De plus, certains dialogues, certaines réactions des PNJ et même certaines séquences scénaristiques évoluent en fonction de cet ordre. Cela ne transforme pas le jeu en un récit totalement ouvert, mais introduit assez de variations pour inciter à une seconde partie.

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En définitive, Ghost of Yōtei semble avoir fait le choix d’une durée de vie équilibrée : suffisamment longue pour satisfaire les amateurs de grandes fresques, mais sans céder à l’inflation d’heures parfois artificielles. Sa difficulté accrue et ses variations structurelles lui confèrent une rejouabilité réelle, quoique plus subtile que spectaculaire. Ce n’est pas un jeu pensé pour être rejoué indéfiniment, mais plutôt pour offrir une seconde expérience enrichie, différente dans ses nuances et dans son rythme.

Pour ma part, je considère que le prix, bien que élevé, se justifie au regard du soin apporté à la réalisation et de la densité de l’expérience. Il ne s’agit pas seulement d’un jeu d’action-aventure, mais d’un voyage culturel et sensoriel, porté par une mise en scène soignée et une cohérence artistique rare. Dans un marché où beaucoup de productions AAA tendent à se diluer dans l’excès de contenu, Ghost of Yōtei choisit la voie de la précision et de l’intensité. C’est ce qui en fait, à mes yeux, un achat pertinent, à condition d’accepter son austérité et son ton plus sombre.

En terminant ce long parcours dans Ghost of Yōtei, je garde le sentiment d’avoir joué à une œuvre singulière, consciente de son héritage mais décidée à ne pas s’y enfermer. La comparaison avec Ghost of Tsushima est inévitable, et elle le restera sans doute longtemps : même studio, même filiation spirituelle, même ambition de proposer un monde ouvert qui allie immersion historique et souffle narratif. Pourtant, Yōtei affirme sa propre voix, plus âpre, plus resserrée, et peut-être plus exigeante.

En définitive, Ghost of Yōtei s’adresse à un public qui recherche une aventure immersive et exigeante, moins tournée vers le lyrisme que son aîné, mais plus ancrée dans une brutalité réaliste et une esthétique dramatique. Ce n’est pas un jeu qui séduira tout le monde : certains regretteront l’absence de la lumière et de la poésie de Tsushima. Mais ceux qui accepteront d’entrer dans cet univers glacé, rude et spectral découvriront une expérience rare, où chaque détail visuel, sonore et narratif contribue à forger une cohérence puissante.

Mon impression finale est donc celle-ci : Ghost of Yōtei ne cherche pas à plaire à tous, mais à convaincre ceux qui savent goûter la rigueur d’un monde hostile et la force d’une narration sombre. Il n’est pas une suite au sens traditionnel, mais une variation, une réinvention. En cela, il parvient à transformer l’héritage de Tsushima en véritable anthologie du “Fantôme”. Et c’est peut-être là son plus bel accomplissement : ouvrir la voie à une licence capable de se réinventer sans se répéter.

Article rédigé par Mlle_Krikri

 



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