[Test] Until Then
Until Then est un jeu narratif développé par Polychroma Games, petit studio indépendant basé aux Philippines. Il s’agit d’un visual novel interactif, qui mêle narration, exploration latérale, mini-jeux contextuels et une esthétique pixel-art raffinée. Son histoire, centrée autour d’un adolescent philippin dans un monde post-catastrophe, se distingue par sa sensibilité, sa sobriété et sa puissance émotionnelle. Le titre aborde des thèmes profonds tels que le deuil, la mémoire, l’amitié, et le poids de l’existence, à travers une mise en scène délicate, ancrée dans un quotidien touchant de réalisme.
L’histoire suit Mark Borja, lycéen ordinaire vivant dans une petite ville philippine. Dès les premiers instants, le jeu pose une ambiance intime, presque contemplative : Mark se lève, envoie des messages à ses amis, se prépare pour l’école, interagit avec sa maison. Ce quotidien, très simple en apparence, est au cœur de l’expérience.
Mais sous cette routine se cachent des fêlures. Le monde de Until Then porte encore les stigmates d’un événement appelé le Décret — une catastrophe mystérieuse survenue quelques années auparavant, dont l’influence plane sans jamais écraser l’intrigue. Ce contexte post-cataclysmique est traité avec subtilité : il ne sert pas de prétexte à l’action, mais agit comme toile de fond psychologique à l’état du monde et de ses personnages.
Le scénario se divise en trois actes, dont le premier est le plus terre-à-terre. Il dépeint les interactions adolescentes avec un réalisme saisissant, où les échanges, souvent drôles, parfois tendres ou maladroits, sonnent juste. Les relations familiales, amicales ou amoureuses y sont explorées avec une finesse rare. Ce premier acte, intimiste, construit un fort attachement aux personnages.
Les actes suivants basculent progressivement vers une dimension plus métaphysique : des événements étranges surviennent, des phénomènes de déjà-vu, des boucles temporelles, et une remise en question du réel viennent perturber le quotidien de Mark. Cette transition vers la science-fiction douce est audacieuse, et si elle peut dérouter, elle renforce le propos du jeu sur la fragilité de la mémoire, l’oubli et la reconstruction de soi. La narration garde toujours le cap émotionnel, même dans ses détours les plus abstraits.
Le gameplay de Until Then se veut discret mais intégré. Il ne s’agit pas ici d’un jeu à action ou à défi, mais bien d’une expérience narrative enrichie d’interactions ponctuelles.
Le jeu adopte un défilement latéral, dans un environnement en 2,5D. Le joueur déplace Mark, interagit avec des objets ou des personnages, et déclenche ainsi dialogues et événements. Il peut aussi accéder à son téléphone mobile, interface centrale du jeu : messagerie, journal, réseau social, applications. Le téléphone permet d’entretenir ses relations, de lire des échanges passés, de déclencher des moments clés du récit. C’est un outil narratif puissant, qui favorise l’immersion dans le quotidien du protagoniste.
Des mini-jeux ponctuent l’expérience. Certains sont purement contextuels (saisir un code, réparer une prise, se brosser les dents), d’autres un peu plus ludiques (jeu de rythme, brochette de poisson, scènes musicales). Ces mini-jeux varient dans leur efficacité : certains renforcent l’immersion, d’autres paraissent un peu gadgets ou imprécis dans leur exécution. Néanmoins, leur présence soutient le caractère vivant et tangible du monde.
Il ne s’agit pas ici de proposer un challenge, mais plutôt de donner du corps aux actions quotidiennes. Le jeu se vit plus qu’il ne se « joue », et cette philosophie est assumée jusqu’au bout.
La direction artistique de Until Then est l’un de ses plus grands atouts. Le jeu propose un pixel-art détaillé, subtil, qui évoque une esthétique rétro modernisée. Les décors sont minutieusement animés, avec une attention impressionnante portée aux lumières, aux effets météorologiques, aux gestes du quotidien.
Les scènes sont composées comme des tableaux, avec une sensibilité cinématographique indéniable. Certains moments, notamment les séquences nocturnes ou les festivals de rue, dégagent une poésie visuelle rare. L’interface utilisateur, quant à elle, est épurée, parfaitement lisible, et s’intègre de manière organique à l’univers du jeu.
Mais au-delà du style, c’est la représentation du quotidien philippin qui marque. Le jeu regorge de détails culturels justes : menus de restaurants, moyens de transport locaux (jeepneys), musique pop locale, graphismes d’affiches ou graffitis urbains… Rien n’est stéréotypé ni forcé. L’univers semble authentique, profondément enraciné dans une réalité contemporaine, rarement explorée dans le jeu vidéo.
La bande-son de Until Then mérite des éloges particuliers. Les compositions originales, à la fois discrètes et émotionnelles, accompagnent parfaitement chaque scène. Piano doux, nappes atmosphériques, ponctuations électroniques ou morceaux chantés, la musique rythme les événements sans jamais en prendre le contrôle.
Certaines séquences musicales, notamment dans les moments charnières de l’histoire, sont bouleversantes. On pense à des scènes de Noël, de séparation, ou d’introspection nocturne, où la musique joue un rôle de catalyseur émotionnel puissant. Elle prolonge le ressenti des personnages, amplifie la solitude, la joie, ou l’angoisse, sans jamais tomber dans l’emphase.
Le sound design général est tout aussi soigné. Chaque son (clic de téléphone, froissement de tissu, bruit de pas) participe à l’ancrage réaliste du monde. Les voix sont absentes, ce qui accentue le ton introspectif du jeu, mais ne nuit en rien à l’immersion.
Until Then n’est pas un jeu bavard, mais il est profondément introspectif. Il parle du deuil sans pathos, de l’amitié sans mièvrerie, de la famille sans clichés. Il évoque la manière dont nous sommes façonnés par nos souvenirs, et comment la perte ou l’oubli peuvent altérer notre perception du monde.
Le jeu interroge aussi le rapport au réel : que se passe-t-il lorsque le présent commence à s’effriter ? Lorsque le passé se modifie ? Lorsque les gens qu’on aime disparaissent sans laisser de trace, ou changent sans qu’on comprenne pourquoi ? Ces interrogations philosophiques sont distillées avec élégance, sans jamais donner de leçon.
L’originalité de Until Then réside dans sa capacité à provoquer une résonance émotionnelle universelle, tout en s’ancrant dans un cadre culturel très spécifique. Il ne cherche jamais à généraliser ou à occidentaliser son propos, mais parvient à toucher à l’intime, au travers de scènes d’une grande vérité.
Until Then est une œuvre rare, d’une sincérité bouleversante. Il transcende son apparente simplicité pour livrer une chronique adolescente d’une grande profondeur, en mêlant quotidien et fantastique avec une élégance peu commune. Ce n’est pas un jeu destiné à divertir au sens classique, mais à faire ressentir, réfléchir, se souvenir.
Sa direction artistique sublime, sa musique poignante, sa narration fine et son ancrage culturel fort en font un véritable bijou narratif, à la fois intime et universel. Malgré quelques mini-jeux inégaux et une fin qui pourra laisser certains dans l’expectative, Until Then s’impose comme un incontournable du genre narratif.
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