[Test] Clair Obscur : Expedition 33

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[Test] Clair Obscur : Expedition 33

Il y a des jeux qui surgissent sans prévenir et vous laissent hébétée, le cœur noué, comme au sortir d’un rêve fiévreux ou d’un chef-d'œuvre bouleversant. Clair Obscur: Expedition 33 est de ceux-là. Née au cœur de Montpellier, l’œuvre est la première création du studio français Sandfall Interactive, composé d’une trentaine d’âmes seulement. Et pourtant, c’est une cathédrale.

Ce projet ambitieux a été porté pendant cinq longues années, et si l’on en croit ses créateurs, il s’agissait dès le départ de peindre, au sens presque mystique du terme, un JRPG à l’européenne, capable de rivaliser avec les géants du genre. Le studio, soutenu par Kepler Interactive, n’a pas caché ses influences : Final Fantasy IX, Persona 5, mais aussi des inspirations venues du cinéma français (Jeunet & Caro), du théâtre, de la peinture surréaliste.

Le résultat ? Une œuvre de rupture, une fable sombre et lumineuse qui ressuscite l’âge d’or du RPG narratif tout en y injectant une modernité fulgurante. Dans un marché saturé de redites, Sandfall n’a pas simplement réussi son pari : il a élevé le genre.

Clair Obscur: Expedition 33 nous plonge dans un monde ébréché par un rituel de mort cyclique. Chaque année, une entité surnommée la Peintresse inscrit un chiffre sur un gigantesque monolithe. Quiconque a atteint cet âge meurt instantanément. On appelle cela la Gommage, comme si la mort n'était plus qu’un simple coup de chiffon sur l’ardoise de la vie.

Cette dystopie poétique s’ancre dans la cité suspendue de Lumière, réminiscence déchirée d’un Paris Belle Époque, où Gustave, ingénieur marqué par le deuil, décide d’intégrer la 33e expédition visant à mettre fin à cette malédiction. Il est accompagné de Maelle, sa sœur adoptive silencieuse et redoutable à l’épée, de Lune, érudite mystique au cœur fragile, et de Sciel, amie endeuillée et mélancolique.

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L’histoire, profondément mélodramatique, joue des silences autant que des cris. Chaque scène est sculptée dans une matière sensible : un souffle, un geste, un mot. Le jeu ne se contente pas de raconter — il nous fait ressentir. Il nous confronte à notre finitude, à la perte, à l’héritage, au devoir de laisser un monde meilleur derrière soi.

Dans un paysage dominé par les blockbusters japonais (Final Fantasy XVI, Persona 5 Royal), Clair Obscur étonne, non seulement parce qu’il en épouse les codes avec une aisance troublante, mais surtout parce qu’il les subvertit. Ici, point de quête adolescente ou de grand méchant caricatural, mais une quête existentielle, une urgence vitale face à l’extinction.

Certes, on y retrouve des éléments empruntés à la formule Atlus (dialogues relationnels, système de combat hybride), à FromSoftware (cartographie minimaliste, exploration contemplative), ou encore à Legend of Dragoon pour l’aspect rythmique du combat. Mais tout cela est fondu dans un canevas nouveau, cohérent, habité. Il ne s’agit pas d’un patchwork, mais d’une alchimie rare.

Le plus grand tour de force du jeu est sans doute sa capacité à séduire aussi bien les amateurs de JRPG traditionnels que ceux rebutés par les tour-par-tour, grâce à une proposition de gameplay audacieuse et fluide.

Le système de combat est le cœur battant du jeu. Il mêle tour par tour et action dans une chorégraphie hypnotique : chaque attaque peut être bonifiée par un QTE (système de timing), chaque coup adverse esquivé ou paré, avec un timing exigeant. La récompense ? Une contre-attaque dévastatrice et la sensation grisante d’avoir dansé avec la mort.

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Chaque personnage possède sa mécanique propre : Gustave accumule des charges dans son bras mécanique, Lune applique des marques élémentaires qu’elle peut consommer, Maelle change de posture. Monoco, l’extraterrestre grotesque et génial, peut même copier les attaques ennemies.

Les compétences s’apprennent via des arbres de talents, mais aussi grâce aux “Pictos”, objets conférant des passifs qui deviennent permanents après quelques combats. Il en résulte un système de construction de builds d’une richesse folle, presque infinie.

Le level design épouse l’économie du monde : pas de mini-carte, pas de journal de quêtes. Le joueur doit lire le monde, mémoriser les bifurcations, reconnaître les repères visuels. Cela confère une dimension organique à l’exploration, où chaque détour est potentiellement significatif.

Les donjons eux-mêmes oscillent entre architecture gothique, ruines industrielles, fonds marins suspendus dans l’air. Une topographie onirique qui incite à l’errance et à la contemplation.

Graphiquement, Clair Obscur est à couper le souffle. Propulsé par l’Unreal Engine 5, le jeu s’autorise des compositions visuelles hallucinées, comme si Klimt, Beksinski et Miyazaki avaient peint un cauchemar commun. Lumière, dévastée mais somptueuse, la Tour Eiffel déformée comme une corne de licorne noire, les visages géants sculptés dans des falaises, les rivières de peinture vive... tout évoque un musée maudit.

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Le character design n’est pas en reste : les tenues asymétriques des héros sont dignes des défilés haute couture, les Nevrons, ennemis difformes aux mains qui clignent et aux yeux absents, évoquent la grammaire plastique de The City of Lost Children ou du théâtre Bunraku.

La direction artistique est portée par une fluidité presque irréprochable sur PS5. Quelques effets de lumière peuvent agresser l’œil (notamment un filtre solaire parfois trop présent), et quelques collisions maladroites subsistent, mais rien qui entrave la majesté de l’ensemble.

C’est ici que j’ai définitivement succombé. La bande originale, signée Lorien Testard, est une pure merveille. Elle épouse les émotions comme une robe épouse les formes d’un corps aimé. Des chants en français, lyriques et douloureux, des envolées de cordes qui étreignent le cœur, des motifs jazzy dans les séquences comiques. Chaque note semble avoir été choisie pour faire vibrer l’âme.

Le doublage est de très haute tenue : Charlie Cox, Jennifer English, Andy Serkis, Kirsty Rider, et tant d’autres, livrent des prestations habitées, bouleversantes. Le français y est présent, avec des “merde” et “putain” jetés dans la bouche des personnages comme autant de coups de pinceaux sur une toile de guerre.

La spatialisation du son, les murmures, les cris, les silences, tout participe d’une immersion totale, viscérale, presque intime. On entend le monde pleurer à travers les notes.

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Il m’a fallu un peu plus de 35 heures pour voir le bout de l’aventure principale, en prenant mon temps. Une durée idéale, ni trop courte, ni exténuante. À cela s’ajoute une montagne de contenu optionnel : combats contre des mimes démoniaques, défis de plateforme, explorations de zones secrètes, quêtes scénarisées à la FromSoftware, Pictos rares à découvrir.

La difficulté est modulable, mais dès le mode normal (“Expéditionnaire”), certains boss peuvent devenir de véritables épreuves. Un exemple ? Ce monstre qui se soigne à chaque coup reçu, vous inflige des malus, et applique des boucliers à répétition. J’ai dû repenser tout mon build pour le vaincre. Une défaite comme une leçon.

Le New Game+ propose de nouveaux défis, des équipements inédits et une perspective différente sur certains arcs narratifs. On y revient avec plaisir, tant pour peaufiner ses stratégies que pour savourer à nouveau la prose désespérée de ce monde.

À moins de 50 euros, Clair Obscur offre bien plus qu’une promesse : un voyage initiatique. Et un de ceux qu’on n’oublie jamais. Son contenu est vaste, sa narration poignante, ses mécaniques peaufinées. Et surtout, il ne triche pas : pas de microtransactions, pas de pass saisonnier, pas de mise à jour bancale. C’est un jeu fini, complet, pensé dans chaque recoin.

C’est aussi un titre disponible dans le Game Pass, ce qui en fait une occasion en or pour découvrir l’un des meilleurs jeux de l’année à coût presque nul.

[Test] Clair Obscur : Expedition 33

Clair Obscur: Expedition 33 n’est pas seulement un excellent RPG. C’est un manifeste, une déclaration d’amour à l’art vidéoludique, un cri du cœur en forme de peinture mouvante. Il parle de la mort, de la transmission, de la beauté du futile, de l’élégance du combat et du pouvoir salvateur de l’art.

Ce jeu m’a fait pleurer. M’a fait réfléchir. M’a donné envie de tendre la main vers ceux que j’aime. Il m’a rappelé que le monde est fragile, que nos jours sont comptés, mais qu’on peut, à chaque instant, choisir de bâtir quelque chose pour ceux qui viendront après nous.

J’ai refermé Clair Obscur comme on referme un livre sacré. Avec gratitude. Et un peu de chagrin aussi, de devoir quitter Lumière et ses ombres. Mais dans mon cœur, la Gommage a laissé une empreinte indélébile.

Article rédigé par Mlle_Krikri

 



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